MANANG

MANANG

- Tu es français ? Alors tu dois connaitre Montpellier ?
- Ben oui, un peu, pourquoi ?
- Parce que mon deuxième fils y habite… Enfin, il est en prison à Montpellier pour 10ans.
- ….?

Dialogue quelque peu surréaliste sur le pas de la porte d’une cabane de Manang, village de 200 maisons dominé par la face imposante de l’Annapurna II. Le vieil homme aux allures de mendiant à qui on s’apprêtait à donner quelques roupies, nous raconte les péripéties de sa famille et de son business. Car cette lointaine communauté de Manang, que la couronne népalaise avait il y a un siècle exempté de taxes d’importation pour la fidéliser à Katmandou, a trempé depuis dans tous les business possibles - or, drogue, immobilier, change au noir, etc. – et amassé des fortunes colossales. Il fut une époque où l’on pouvait voir en fin de journée dans le quartier touristique de Thamel, ces petites mamies en fichu et panier à commission faisant la tournée des revendeurs avec quelques milliers de dollars cachés sous les chouxfleurs. Ou observer, à la sortie de l’aéroport à Katmandou, les hommes de mains des gros bonnets Mananguis récupérer dans des paniers, au vu et au su de tous, l’or rapporté par des convoyeurs de retour de 3 jours aux frais de la princesse à Bangkok ou Singapour !

Lorsqu’un des fils du village faisait une grosse bêtise, il n’était pas question de le donner à la police népalaise ; on préférait l’exiler hors des frontières en le recommandant à un exilé plus ancien qui l’accueillait, lui trouvait un boulot et qui devenait de fait son parrain. Pratique connue qui a fait ses preuves ailleurs. De Lucknow à la frontière indienne, cette toile s’est propagée avant la guerre sur les contreforts de Darjeeling. Selon Kessel, ce sont ces mêmes Mananguis que l’on retrouve pendant la guerre à la tête du trafique des rubis de Mogok* en Birmanie (1) et, de là, toujours en laissant derrière eux de nouveaux exilés redevables, ils se retrouvèrent en un saut de puce à Singapour et Hongkong… et Montpellier !
- Oui, et l’aîné, il faisait du business à Hongkong. D’ailleurs je suis allé le voir mais je n’aime pas Hongkong.
L’histoire ne dit pas s’il est aussi en prison.


Jérome Edou
Jerome@basecamptrek.com
1 –J. Kessel : La Vallée des rubis, Folio