DE LA TEXTURE DE LA CROTTE DE CHAMEAU

DE LA TEXTURE DE LA CROTTE DE CHAMEAU

En ce premier Mai, j’aurai pu vous parler de cette terrible avalanche qui a emporté 16 sherpas d’altitude sur la cascade de glace de l’Everest et qui va surement avoir des conséquences importantes sur le futur des expéditions commerciales….

J’aurai pu aussi épiloguer sur le fait que les autorités chinoises ont purement et simplement interdit l’accès du Kailash aux groupes occidentaux, sans aucun préavis ni aucune déclaration officielle, deux semaines à peine avant le grand festival de Tharboche qui marque le point culminant des célébrations de l’année du Cheval…

Finalement je préfère vous raconter une histoire :

Cela se passe en Egypte dans le désert libyque, dans un autre monde, dans un autre siècle, avant le GPS, le téléphone satellite et les frères musulmans. Un de mes amis égyptien, ancien aide-de-camp de Nasser, organisa pour quelques amis occidentaux une grande traversée à pied, de l’oasis de Siwa à la vallée du Nil, une première à l‘époque. La progression entre dunes et désert de pierre fut beaucoup plus lente que prévu et l’eau fut bientôt rationnée au maximum, jusqu’à un simple verre d’eau par jour par personne pour se laver… La tension au sein du groupe devint vite palpable et la pression sur le guide qui semblait visiblement perdu de plus en plus intense. Chacun avaient bien sûr des arguments à faire valoir :

- Mais regardez la carte, bon sang, il faut partir vers le sud…
– Mais non, il faut contourner l’erg par le Nord, c’est évident.
- Dites au guide de faire demi-tour !
– ‘Mais que fait ce guide, il est nul, je vais lui parler moi !’
- ‘Je ne veux pas mourir ici !’ Crise de nerf, crise de larme, etc.

Devant l’urgence, mon ami sortit alors son vieux révolver et mit tout ce beau monde en joue :

- Si je tue quelqu’un nous serons tous solidaires et on dira qu’il est mort en se perdant dans le désert. Donc je n’hésiterai pas à me servir de ce revolver. Donc vous ne bouger pas de là, je ne veux plus entendre une seule parole, pas la moindre remarque ni le moindre gémissement et on se retrouve dans deux heures. Exécution !

Le guide local, totalement désemparé devant toutes ces pressions contradictoires, intellectuelles et péremptoires avait perdu tous ses moyens, et errait dans un piteux état. Mon ami le prit alors à part et lui dit : « Tu vas aller te balader tout seul pendant deux heures et dans deux heures, tu reviens ici, tu nous indiques le chemin et nous te suivront.»

Deux heures après le guide revint, sûr de lui : ‘C’est par là’ et toujours sous la menace du revolver, le groupe se remit en route sans discussion. Finalement l’expédition atteignit les rives du Nil sans autres incidents, le guide local ayant retrouvé son intuition et ses repères : l’humidité du sable, la texture d’une crotte de chameau, la direction du vent, et bien d’autres indices visibles de lui seul.

Jérome Edou
Katmandou, ce 1 Mai 2014