HAUSSMANN BAHADUR

HAUSSMANN BAHADUR

Faut que je vous explique, je crois.

- Haussmann : oui, c’est bien le Baron du boulevard éponyme et parisien qui ouvrit dans les années 1860 de larges avenues à Paris en détruisant sans remord les vieux quartiers et changea inexorablement la physionomie de la ville.

- Bahadur : en népalais signifie ‘puissant’ ou ‘fort’, nom de guerre que beaucoup de groupes ethniques népalais adossent à leur nom de caste, à l’instar de la famille royale.

En plus d’être maoïste de la première heure et brahmane de naissance, le Premier ministre népalais, Baburam Bhattaraï est aussi détenteur d’un PHD en génie civil de l’Université Jawaharlal Nehru de Delhi. Après la dissolution de l’Assemblée Constituante – sans constitution – et en attendant d’improbables élections, il s’est donc lancé, tel un général en conquête, dans de grands travaux pour transformer les ruelles de Katmandou en larges avenues haussmanniennes.

En fait la technique est assez simple : 1 – Sortir d’un tiroir un vieux code datant de plus de 30 ans stipulant qu’il est interdit de construire à moins de 15 m du centre de la rue, 2 – Envoyer les bulls pour aligner la nouvelle avenue rasant tout ce qui dépasse 3 – devant la colère des riverains, interrompre les travaux à mi-parcours et engager des négociations, 4 – pour finalement, face aux demandes exorbitantes des habitants, reprendre les travaux là où on les avait laissé en évitant cependant de raser les murs des intouchables ambassades occidentales…

Dans une ville où la plupart des mesures annoncées en grandes pompes telles le port obligatoire du casque ou des ceintures de sécurité, l’interdiction des portables au volant, l’élimination des véhicules de plus de 20 ans, la délocalisation des briqueteries polluantes pour n’en citer que quelques-unes, n’ont jamais survécues plus de quelques jours, les habitants de la capitale népalaise se sont finalement laissé surprendre par la détermination du ministre ; nombre d’entre eux se sont réveillés un matin pour voir la façade de leur chambre se répandre dans un nuage de poussière dans la rue…

Sous les grosses averses de mousson, la ville est plongée dans un cloaque de boue, de briques et de poutres, de fils électriques et de canalisations éventrées, qui transforment ce qui restent de rues en torrents pestilentiels. Tandis que les résidents entassent à la hâte les quelques effets qu’ils ont pu récupérer dans les décombres, les voitures tentent de se frayer un passage entre cratères et marécages et on ne peut s’empêcher d’imaginer ce qui se passera lorsque subviendra le tremblement de terre majeur que tous les séismologues nous prédisent pour bientôt.

Sans attendre la fin de la mousson, la saison touristique qui s’annonce comme un grand cru, a commencé : pour les deux mois à venir, il n’y a plus une chambre d’hôtel, les vols sont pleins, les lodges sont pris d’assaut, les prix flambent.
La vente continue pendant les travaux…

Jérome Edou
Septembre 2012